Comprendre le lien entre sel et pression artérielle : une histoire de 150 ans
L’histoire du sel et de l’hypertension ressemble à celle d’un fleuve qui creuse lentement son lit. Dès la fin du XIXe siècle, des médecins observaient que les personnes ayant une alimentation plus salée étaient plus souvent touchées par l’hypertension. Aujourd’hui, les preuves se sont accumulées comme des sédiments le long de ce fleuve : l’OMS estime que l’excès de sodium est responsable de 1,89 million de décès par maladies cardiovasculaires chaque année (OMS, 2023).
Mais quel est ce mécanisme qui relie le sel (chlorure de sodium) à la pression artérielle ? Pour l’image : Le sel agit comme une éponge qui capte l’eau dans nos vaisseaux. Plus il y a de sel, plus le volume sanguin augmente, « tendant la toile » de nos artères, un peu comme on gonfle un tuyau d’arrosage. À la longue, cette tension fragilise les parois vasculaires et accélère l’usure du cœur.
Hypertension et excès de sel : quelques chiffres clés
- En France, l’hypertension concerne environ 17 millions de personnes adultes, c’est plus d’1 adulte sur 3 (Santé Publique France, 2023).
- 70% du sodium consommé dans nos pays provient d’aliments transformés ou préparés industriellement (ANSES, 2022).
- La consommation moyenne de sel en France est de 8,1 g/jour chez les hommes et 6,7 g/jour chez les femmes, soit bien au-delà des 5 g/jour recommandés par l’OMS (INCA3, 2017).
- Chaque gramme de sel en excès (au-delà de la recommandation) augmenterait de 2 à 3 mmHg la pression artérielle systolique chez l’adulte sensible au sel (Strazzullo et al., BMJ 2020).
La place du sel dans notre quotidien s’explique ainsi autant par les traditions culinaires que par l’industrie agroalimentaire, mais l’impact sur la santé n’en est pas moins concret.
Qu’apportent les grandes études de réduction du sel ?
Depuis les années 1980, plusieurs études majeures ont décortiqué l’impact d’une réduction de sodium chez les populations hypertendues et non hypertendues.
- Étude DASH-sodium (Sacks et al., 2001) : une réduction à 3 g/jour de sodium a entraîné une baisse moyenne de 7 mmHg de la pression systolique chez les hypertendus (et de 4 mmHg chez les non hypertendus).
- Meta-analyse Cochrane, 2021 : une réduction modérée de sel (autour de 2 g/jour) a permis une baisse moyenne de 5 mmHg parmi les sujets hypertendus.
- Intervention en population (Finlande, 1979-2002) : une diminution de la consommation de sel de 40% a coïncidé avec une chute du taux d’AVC de 80%, et celui d’infarctus de 75%, tenant compte aussi des autres efforts de prévention (Karppanen & Mervaala, Lancet 2006).
Ces chiffres sont tout sauf anecdotiques : une réduction de 5 mmHg de la pression systolique baisse le risque d’AVC de 14% et celui de maladies coronariennes de 9% (Etude Prospective Collaboration, 2021).
Pourquoi certaines personnes sont-elles plus sensibles au sel ?
Il faut tordre le cou à une idée reçue : tout le monde ne réagit pas de la même façon à la réduction du sel. Environ 50% des personnes hypertendues sont dites « sensibles au sel », c’est-à-dire que leur pression artérielle chute significativement lorsqu’on réduit le sodium alimentaire (Weinberger, 2019). Pour les autres, le lien est moins net.
Cette variabilité dépend de plusieurs facteurs :
- Âge : la sensibilité au sel augmente avec l’âge, l’effet étant deux à trois fois plus marqué après 65 ans.
- Origine ethnique : les personnes d’origine africaine ou caribéenne présentent une sensibilité supérieure comparée à d’autres populations.
- Problèmes rénaux ou présence de diabète : ces pathologies renforcent l’effet du sodium sur la tension.
- Génétique : certains porteurs de variations génétiques (gènes du système rénine-angiotensine, par exemple) éliminent moins efficacement le sel.
Il ne s’agit donc pas d’une recette unique, mais d’une mesure préventive dont les bénéfices sont observables sur l’ensemble d’une population, comme une ceinture de sécurité protège tout le monde même si seuls certains seraient blessés en cas d’accident.
Quels sont les apports recommandés en sel aujourd’hui ?
- OMS : moins de 5 g de sel par jour (2000 mg de sodium).
- HAS (France) : moins de 6 g/j pour les adultes, voire moins en cas d’hypertension.
- Enfants : 2 à 5 g/j selon l’âge.
Dans la réalité, la quasi-totalité des populations dépasse ces recommandations, parfois sans le savoir : 80% du sel journalier est « caché » dans le pain, les charcuteries, les fromages, les plats préparés, etc.
Comment réduire sa consommation de sel de manière concrète ?
Il ne s’agit pas de bannir toute saveur, mais d’apprendre à repérer et limiter les excès insidieux : c’est là que l’intervention non médicamenteuse prend tout son sens.
- Limitez le sel « ajouté » lors de la cuisson : une pincée de moins par plat, c’est déjà un début.
- Prenez l’habitude de lire les étiquettes : guettez la mention « sodium » ou « sel », un aliment transformé peut facilement contenir 2 à 3 g/100 g.
- Privilégiez le fait-maison : plus un plat est fabriqué de vos mains, moins il tend à renfermer du sodium caché.
- Rehaussez les saveurs autrement : herbes fraîches, épices, ail, citron, vinaigre…
- Attention aux pièges : bouillons cubes, sauces soja, olives, conserves… sont souvent très salés.
Une étude britannique (He et al., BMJ 2014) montre qu’un simple coaching sur la lecture des étiquettes et le choix d’alternatives peu salées permettait, en six semaines, de réduire la consommation de sodium de près de 30% chez des familles suivies.
Réduction du sel : quelles limites et quels effets secondaires possibles ?
La question légitime qui se pose : peut-on « manquer de sel » en cherchant à réduire ? Chez la personne jeune et en bonne santé, c’est très rare. Des apports inférieurs à 3 g/jour pourraient, sur le très long terme, être associés à un léger surrisque cardiovasculaire, notamment chez des personnes dénutries, âgées, ou atteintes d’insuffisance cardiaque sévère (O’Donnell et al., NEJM 2014). Mais ce risque reste marginal comparé au bénéfice d’une réduction modérée en population générale.
Le deuxième point à surveiller concerne l’iode : en France, le sel de table est souvent enrichi en iode car la population y reste parfois déficitaire. Réduire le sel ne doit donc pas faire oublier d’autres sources d’iode (poissons, fruits de mer, certains produits laitiers).
Sel, hypertension : mythes à dépasser
- « Je ne sale jamais mes plats, donc je ne consomme pas trop de sel. » Faux : 80% du sel est déjà caché dans l’alimentation industrielle, peu importe l’absence de salière à table.
- « Le sel marin est meilleur pour la santé que le sel raffiné. » D’un point de vue sodium, c’est quasi-identique : le gramme de sodium reste le même, qu’il soit issu de l’Himalaya ou d’une saline industrielle.
- « Je peux compenser le sel par des substituts au potassium sans danger. » Prudence : les « sels diététiques » sont déconseillés chez l’insuffisant rénal ou sous certains médicaments anti-hypertenseurs (IEC, sartans, diurétiques).
FAQ : Réponses rapides à 5 vraies questions sur le sel et la pression artérielle
- Est-ce utile de réduire le sel même sans hypertension ? Oui, car la tension artérielle augmente naturellement avec l’âge. Réduire le sel prévient cette tendance et ses conséquences.
- Les sportifs ont-ils besoin de plus de sel ? Sauf activité extrême (ultra-trail, marathon en canicule), les apports recommandés suffisent largement. Les sportifs de loisir n’ont pas de besoins majorés.
- Puis-je réintroduire du sel lorsque ma tension est bien contrôlée ? Non, la reprise d’un excès de sel fait remonter la tension, même si celle-ci s’est normalisée avec le régime pauvre en sodium.
- À partir de combien de jours la réduction du sel agit-elle sur la tension ? Les effets sont mesurables dès 2 à 4 semaines, parfois plus tôt.
- Pourquoi la lutte contre l’excès de sel est-elle collective ? Parce que l’énorme majorité du sodium est « imposée » par l’industrie, d’où la nécessité de mesures publiques et de l’engagement des fabricants (réglementation, étiquetage, reformulation des produits).
Outils simples : comment évaluer son apport en sel ?
Quelques repères pour mieux surveiller sa consommation :
- Un aliment qui en contient plus de 1,5 g/100 g est considéré comme riche en sel.
- Le Nutri-Score prend désormais en compte l’apport en sel dans sa notation globale.
- Des applications mobiles (Open Food Facts, Yuka, etc.) affichent le contenu exact en sodium de milliers de produits et permettent de scanner les codes-barres.
| Aliment | Teneur en sel (pour 100 g) |
|---|---|
| Pain industriel | 1,5 g |
| Fromage type Roquefort | 3,5 g |
| Charcuterie | 2,5 à 3 g |
| Pizza surgelée | 1,7 g |
| Sardines en boîte | 1,2 g |
Vers une approche préventive : la réduction modérée du sel, pour qui, comment ?
La science ne plaide pas pour le bannissement strict du sel, mais pour un retour à la sobriété. Réduire le sel, ce n’est pas ajouter une contrainte : c’est choisir une mesure simple, accessible, et validée pour prendre soin de ses artères, aujourd’hui et demain. Comme la ceinture de sécurité n’empêche pas de conduire, mais en protège les conséquences, limiter le sel n’empêche pas le plaisir gustatif, mais réduit silencieusement les risques d’hypertension et d’AVC au fil des années.
La clé reste l’information, la déculpabilisation, et l’autonomie. Savoir où se cache le sel, apprendre à le domestiquer sans l’éradiquer : voilà un pilier incontournable de la prévention cardiovasculaire de demain.
- Sources principales : - OMS (Organisation Mondiale de la Santé) - Santé Publique France - ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) - Sacks et al., DASH-sodium. NEJM 2001 - Strazzullo et al. BMJ 2020 - Karppanen & Mervaala, The Lancet 2006 - O’Donnell et al., New England Journal of Medicine 2014 - He et al., BMJ 2014
Pour aller plus loin
- Régime méditerranéen : que nous apprennent vraiment les études cliniques en prévention cardiovasculaire ?
- Nutrition et santé : que dit vraiment la science sur leur lien ?
- Comprendre l’efficacité des interventions de gestion du stress : la science à l’épreuve des faits
- L'activité physique, véritable levier contre les maladies chroniques : ce que dit la science
- INM : Les preuves scientifiques qui transforment la prévention et la santé globale